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🎯 Comment identifier vos objectifs pĂ©dagogiques ?
🎯 Comment identifier vos objectifs pĂ©dagogiques ?
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Écrit par Sarah Elyafi
Mis à jour il y a plus d’une semaine

Prendre le problĂšme dans le bon ordre

L’une des erreurs les plus couramment commises en pĂ©dagogie est de dĂ©cider de la sĂ©quence pĂ©dagogique (les modalitĂ©s spĂ©cifiques, par exemple, le choix du prĂ©sentiel ou distanciel) avant de poser les objectifs pĂ©dagogiques (la nature du changement souhaitĂ© pour l’apprenant, par exemple, maĂźtriser un nouveau geste mĂ©tier). Cela revient Ă  mettre les moyens avant la finalitĂ©.


Un exemple de cette erreur serait un expert appelĂ© Ă  transmettre Ă  ses collĂšgues, qui dĂ©ciderait de produire des slides avant mĂȘme de se poser la question de ce qu’il va dire. Un autre exemple pourrait ĂȘtre le responsable formation d’une entreprise qui dĂ©ciderait de dĂ©ployer une innovation quelconque pour son prochain programme de formation (MOOC, rĂ©alitĂ© virtuelle, apprentissage sur le poste de travail) indĂ©pendamment de sa pertinence pĂ©dagogique.

Il faut bien admettre que tout nous pousse Ă  rĂ©flĂ©chir dans l’autre sens, en premier lieu la familiaritĂ© et la simplicitĂ©. Une modalitĂ© pĂ©dagogique nous paraĂźt immĂ©diatement concrĂšte. Ce sera un jeu de rĂŽle, une bande dessinĂ©e, une dĂ©monstration
 A l’inverse, l’objectif pĂ©dagogique semble relever de l’abstrait. Qui dit objectif pĂ©dagogique dit verbes Ă  l’infinitif, comme dans la taxonomie de Bloom, avec ses 55 verbes. Un outil utile, sans doute, mais complexe Ă  manier, surtout par des non-professionnels (quelle diffĂ©rence entre “juger” et “estimer” ? il y a lĂ  de quoi occuper bien des philosophes...).
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C’est prĂ©cisĂ©ment parce que nous avons tendance Ă  aller directement aux modalitĂ©s que nous devons prendre l’habitude de suspendre notre jugement. Je veux transmettre des recettes de cuisine, je pense Ă  faire une vidĂ©o : oui, mais pour quelle raison ? Peut-ĂȘtre serai-je confirmĂ© dans mon intuition, mais tant que je ne me suis pas posĂ© la question, je ne peux pas savoir.

Il est vrai que les modalitĂ©s s’imposent parfois comme une contrainte : un professeur d’universitĂ© dans un amphithĂ©Ăątre peut plus difficilement faire participer ses Ă©tudiants qu’un chargĂ© de TD. NĂ©anmoins, mĂȘme lorsque c’est le cas, de nombreux choix subsistent : ainsi, le professeur d’universitĂ© peut ou non opter pour accompagner sa prĂ©sentation magistrale d’un support visuel, ou d’un outil numĂ©rique de sondage en temps rĂ©el. Quelle que soit votre situation de transmission, vous ne ferez jamais l’économie d’une rĂ©flexion prĂ©alable sur les objectifs pĂ©dagogiques.

Fixer des objectifs pédagogiques concrets

  • Etape 1 : Poser le cadre initial

Avant mĂȘme de fixer les objectifs pĂ©dagogiques, une premiĂšre Ă©tape de cadrage initial s’impose.
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​L’apprenant
Pas d’apprentissage sans apprenant, cet individu en chair et en os dont nous souhaitons augmenter les facultĂ©s et qui est notre raison d’ĂȘtre en tant que pĂ©dagogue. Cela paraĂźt Ă©vident, et pourtant nous avons instinctivement tendance Ă  l’oublier. Les programmes de formation, curriculum de cours, s’apparentent le plus souvent Ă  des listes de thĂ©matiques. Des dĂ©bats entiers sur le sĂ©quencement optimal d’apprentissage disciplinaire des mathĂ©matiques peuvent avoir lieu sans que la notion d’apprenant ne s’immisce dans la conversation.

C’est pourquoi nous devons faire l’effort conscient, dĂšs les premiĂšres Ă©tapes, de matĂ©rialiser la personne de l’apprenant ou du moins, l’apprenant type. Ce travail n’est pas sans rappeler le travail d’identification des persona des spĂ©cialistes de l’expĂ©rience utilisateur (UX), ou la notion de public dans le domaine de la communication.

Pour cela il est utile de rĂ©pondre Ă  quelques questions (qui est il ? que sait il de ce sujet ? etc.). Faisons l’exercice ensemble, en nous plaçant dans le cadre d’une formation d’entreprise Ă  la sĂ©curitĂ© incendie :

Question | RĂ©ponse | Ce que j’en retire pour ma formation
​Qui est cette personne ? Quel est son profil ? | Un·e salarié·e d’entreprise | -> ce n’est pas son mĂ©tier, ni sa principale prĂ©occupation, il faut donc ĂȘtre concis.
Que connaĂźt-il de ce sujet ? | Des notions presques enfantes : l’eau Ă©teint le feu, il faut appeler les pompiers
 | -> il faut repartir des bases qui sont plutĂŽt faibles
A-t-il des idĂ©es reçues ? Des mauvais rĂ©flexes ?Que fait-il aujourd’hui qui a besoin de changer ? | Essayer d’éteindre un feu qui s’est dĂ©jĂ  trop propagĂ©, utiliser de l’eau sur un feu d’huile... | -> il faudra les inclure spĂ©cifiquement dans la formation
Quel bénéfice retire-t-il de la formation ? | Augmenter ses chances de survie dans un incendie | -> il sera a priori intéressé et motivé par la formation
Comment risque-t-il d’accueillir la formation ? | A moins d’ĂȘtre suicidaire, il ne remettra pas en cause mon expertise, | -> je pourrai ĂȘtre direct dans mes messages sans crainte que ma lĂ©gitimitĂ© soit attaquĂ©e

Ici mon apprenant est un collaborateur dont la sĂ©curitĂ© incendie n’est ni le mĂ©tier ni la principale prĂ©occupation. Il a peut ĂȘtre quelques notions de base : l’eau Ă©teint le feu, il faut utiliser un extincteur, il faut appeler les pompiers. Il a certainement des idĂ©es reçues ou mauvais rĂ©flexes (par exemple, essayer d’éteindre un feu qui s’est dĂ©jĂ  trop propagĂ©). Si j’échoue dans mon entreprise, il risque de pĂ©rir dans un incendie. En revanche, Ă  moins d’ĂȘtre suicidaire, il n’a que peu de chance de remettre en question mon enseignement. Tous ces Ă©lĂ©ments me donnent dĂ©jĂ  quelques indications sur la maniĂšre de procĂ©der. Je devrai repartir des bases ; je devrai explicitement Ă©voquer et dĂ©construire les idĂ©es reçues prĂ©alables ; je pourrai ĂȘtre direct dans mes message, sans crainte d’ĂȘtre attaquĂ© sur ma lĂ©gitimitĂ©.

Bien sĂ»r, Ă  l’exception du tutorat, il est rare que nous soyons confrontĂ© Ă  un seul apprenant. Les apprenants ne sont-ils pas tous uniques ? DĂšs lors, l’exercice de l’apprenant-type n’est-il donc pas futile ? Dans un monde idĂ©al, nous pourrions nous adapter Ă  chaque apprenant. Dans le monde rĂ©el, c’est souvent impossible ; pour autant, il doit ĂȘtre possible d’identifier des catĂ©gories et des recoupements. Supposant que j’enseigne un cours de danse et qu’il s’agit de mon deuxiĂšme cours, je pourrai dĂ©jĂ  identifier les catĂ©gories suivantes : ceux qui ont fait de la danse auparavant et ceux qui n’en jamais fait, d’une part ; ceux qui ont assistĂ© au premier cours et ceux qui n’y ont pas assistĂ©, d’autre part.

Dans tous les cas, le fait d’identifier une personne, quelle qu’elle soit, nous aide à nous poser les bonnes questions.

L’instructeur

Vous, en somme.

  • La premiĂšre question Ă  vous poser est celle de votre identitĂ© en tant que pĂ©dagogue. Vous pourriez ĂȘtre professeur ; formateur ; expert ; ou simplement quelqu’un qui souhaite partager une connaissance ou une bonne pratique. Un professeur, par exemple, a des contraintes que l’expert n’a pas nĂ©cessairement (un programme Ă  respecter).
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  • Ensuite, interrogez-vous sur la nature de votre expertise. Quelle confiance avez-vous dans vos messages ? Plusieurs cas de figure sont envisageables. Vous pourriez transmettre des vĂ©ritĂ©s uniques et objectives, comme un professeur d’anglais enseignant la conjugaison, ou un vendeur de matelas gonflable montrant la bonne maniĂšre d’utiliser son produit. Vous pourriez Ă©galement transmettre des idĂ©es ou pratiques en lesquelles vous avez pleinement confiance, sans que l’on puisse les qualifier d’objectives pour autant : pensez Ă  un coach sportif dĂ©montrant le “bon geste” au basket ou au golf. Ou vous pourriez vous appuyer sur votre expĂ©rience, votre raisonnement, tout en Ă©tant conscient que d’autres personnes pourraient ĂȘtre en dĂ©saccord (un universitaire exposant ses derniĂšres thĂ©ories sur la gravitĂ© quantique, un publicitaire expĂ©rimentĂ© partageant ses trucs et astuces Ă  un plus jeune).
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  • Enfin, de combien de temps disposez-vous ? La comparaison de l’apprenant et de l’instructeur est riche d’enseignements pour le pĂ©dagogue. Des recherches montrent notamment que l’écart d’expertise entre l’apprenant et l’instructeur induit des recommandations pĂ©dagogiques diffĂ©rentes. Ainsi, lorsque l’apprenant et l’instructeur ont un niveau de lĂ©gitimitĂ© et d’expertise comparable (c’est typiquement le cas d’un sĂ©minaire d’universitaires ou d’experts) un style d’instruction dit “dĂ©mocratique” est prĂ©fĂ©rable. Un tel style implique par exemple de poser des questions et de gĂ©nĂ©rer des discussions plutĂŽt que d’énoncer des affirmations ; ou encore de parler de maniĂšre inclusive, Ă  la premiĂšre personne du pluriel, plutĂŽt que de donner des ordres Ă  l’impĂ©ratif.
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    En revanche, lorsque l’instructeur est prĂ©sumĂ© dĂ©tenir un savoir dont l’apprenant manque (c’est typiquement le cas en primaire dans un contexte scolaire), un style plus descendant produira de meilleurs rĂ©sultats. Dans ce cas prĂ©cis, demander Ă  l’apprenant de gĂ©nĂ©rer la connaissance par lui-mĂȘme pourra au contraire produire de l’incertitude.

  • Étape 2 : Identifier les erreurs pertinentes et les changements attendus

Un objectif pĂ©dagogique n’est pas un contenu. Par abus de langage, nous avons tendance Ă  rĂ©duire la pĂ©dagogie Ă  la transmission d’un contenu. “J’enseigne l’histoire”. “Je forme Ă  la prise de parole en public.” Ces formulations prĂ©supposent qu’il existe une chose, l’histoire, qui serait en quelque sorte envoyĂ©e Ă  l’apprenant, tel un colis ou un email, dans l’espoir qu’il la reçoive intacte. Si cela est exact, comment sait-on que l’apprenant a bien “reçu” “l’histoire” ? OĂč est l’accusĂ© de rĂ©ception ?


Une solution possible serait de passer d’une logique de contenu Ă  une logique de pures compĂ©tences. Le dĂ©bat fait rage, dans l’éducation nationale comme dans la formation professionnelle : faut-il tout ramener aux compĂ©tences et aux verbes d’action ? N’est-ce pas lĂ  une approche trop utilitaire ? Quid des savoirs dĂ©sintĂ©ressĂ©s, de l’érudition ? Quid de la sagesse ? La question s’entend.

Nous pensons nĂ©anmoins qu’il s’agit d’un faux problĂšme. PlutĂŽt que de rĂ©duire l’apprentissage Ă  l’une ou l’autre de ces dimensions, nous pouvons dĂ©finir l’apprentissage comme un changement d’état, de A vers B. Plus spĂ©cifiquement, l’apprentissage serait caractĂ©risĂ© par un changement observable et durable dans la capacitĂ© Ă  traiter une situation par soi-mĂȘme de maniĂšre satisfaisante. Observable comment, demandera-t-on ? Via une diffĂ©rence : ce qui se passe lorsque l’apprentissage est absent, comparĂ© Ă  lorsqu’il est prĂ©sent. Or, un tel changement peut s’observer aussi bien pour un savoir (on peut aisĂ©ment dĂ©tecter si quelqu’un a compris de quoi se compose une sĂ©quence d’ADN) que pour un savoir faire.
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Pour mieux comprendre ce que l’on entend par changement d’état, il peut ĂȘtre utile de comparer l’apprentissage Ă  une histoire. Au dĂ©but de l’histoire, l’apprenant, votre protagoniste a un manque dont il peut ou non se rendre compte : sans votre intervention, il risque de commettre une ou des erreurs. Au cours de l’histoire, il est plongĂ© dans un environnement inconnu et doit se confronter Ă  des efforts qui le font grandir, notamment des Ă©preuves qu’il ne pourra relever que s’il sort de son Ă©tat initial. A la fin de l’histoire, il a rĂ©ussi l’épreuve, atteint le changement attendu et se trouve capable d’appliquer ce qu’il a appris dans le monde rĂ©el.

Etat initial : L’erreur pertinente | Etat final : Le changement attendu
​Exemple : Je n’approche que les clients qui semblent prĂȘts Ă  acheter. | Exemple : J’approche tous les clients, y compris ceux qui ne semblent pas immĂ©diatement prĂȘts Ă  acheter.
Exemple : J’insiste pour prodiguer les soins face Ă  un patient rĂ©calcitrant | Exemple : Je propose Ă  un patient qui refuse les soins de les pratiquer lui-mĂȘme.

L’erreur pertinente rĂ©pond Ă  la question suivante : “Que se passe-t-il si la personne n’est pas formĂ©e ?”. Pour identifier cette erreur, vous pouvez Ă©galement vous demander : “que fait un dĂ©butant ?” ou encore “qu’est-ce que les gens trouvent difficile ?
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Le changement attendu rĂ©pond Ă  la question “Que se passe-t-il si la personne est correctement formĂ©e ?” Pour identifier ce changement attendu, vous pouvez vous demander “que fait une personne compĂ©tente ?”
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RĂ©flĂ©chir en termes d’erreurs pertinentes vous permet de filtrer vos objectifs pĂ©dagogiques et ainsi d’aller Ă  l’essentiel. En effet, s’il n’y a pas d’erreur possible, c’est qu’il n’y a pas d’enjeu pour le pĂ©dagogue : ce que vous voulez transmettre est si Ă©vident que l’apprenant se dĂ©brouillera parfaitement bien sans vous !
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  • Étape 3 : Rassembler vos changements dans une structure pĂ©dagogique d’ensemble

Une liste de changements, surtout aussi concrĂšte, ne suffit pas Ă  Ă©laborer un plan de cours ou de formation, en tout cas au-delĂ  d’une certaine durĂ©e. Il est souvent nĂ©cessaire (ou demandĂ©) de construire une structure plus globale, par exemple un syllabus : voici ce que nous aborderons lors de la premiĂšre session, lors de la deuxiĂšme session

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Nous vous conseillons d’effectuer ce travail une fois que vous ĂȘtes au clair sur les enjeux concrets pour vos apprenants, c’est-Ă -dire les changements visĂ©s. Cela vous Ă©vitera de partir dans un cul-de-sac, d’autant que l’esprit humain peut vite s’abĂźmer dans des dĂ©bats de concepts et de catĂ©gories en rĂ©alitĂ© interchangeables.

Pour vous simplifier cette phase, nous vous proposons quelques découpages possibles qui vous aideront à aboutir à une premiÚre hypothÚse de structure pour vos formations :

  • lister chronologiquement les grandes Ă©tapes de ce que doit savoir faire l’apprenant

  • lister les grande familles de situations auxquelles l’apprenant peut ĂȘtre confrontĂ©

  • lister les diffĂ©rentes thĂ©matiques dont l’apprenant doit ĂȘtre familier
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Type de découpage | Exemple
​Étapes | Accrocher le client - DĂ©rouler le pitch - Conclure la vente
Situation | Face Ă  un nouveau client - Face Ă  un client existant - Face Ă  un client en colĂšre
Thématiques | Les fruits et légumes - Les viandes et poissons

Les dĂ©coupages par Ă©tapes ou types de situation tendent Ă  montrer plus d’efficacitĂ© pour l’acquisition de savoir-faire, tandis que les dĂ©coupages thĂ©matiques se justifient davantage pour l’acquisition de savoir.

  • Étape 4 : Adapter les stratĂ©gies Ă  l’état initial observĂ©: idĂ©e reçue ou manque d’information ?

Les stratĂ©gies d’apprentissage recommandĂ©es pour un apprenant partant d’idĂ©es reçues prĂ©alables ne sont pas les mĂȘmes que pour un apprenant dont l’esprit est une table rase.


Prenons l’exemple d’un apprenant qui croirait que la terre est plate. Cette personne a construit dans sa tĂȘte un modĂšle mental du cosmos, Ă  la fois clair et erronĂ©. Si vous expliquez Ă  cet apprenant : “tu as tort, la Terre n’est pas plate mais ronde”, votre intervention n’aura que peu d’effet, car elle entrera directement en conflit avec son modĂšle mental prĂ©existant.

A l’inverse, si vous commencez par lui demander : “à ton avis, la Terre est-elle ronde ou plate ? Pourquoi ?” avant de lui montrer les contradictions qui rĂ©sultent de son propre raisonnement (“si ce que tu dis est vrai, comment se fait-il que
 ?”), vous aurez davantage de chance de le convaincre.

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